J2.09 - LE RETOUR
IX
LE RETOUR
LE RETOUR
Sur le quai des Augustins, quai étroit, paisible, bordé d’un côté par des boutiques de libraires, de l’autre par les étalages des bouquinistes, dans une de ces anciennes maisons du siècle dernier fermée de lourdes portes cintrées, la Revue des Races futures se trouvait installée.
Ce n’était pas au hasard qu’on avait choisi pour elle ce quartier retiré. À Paris, les journaux et publications se fondent d’ordinaire dans l’arrondissement qui leur convient le mieux. Au centre, près des grands boulevards, les magazines, les feuilles mondaines, étalent leurs couvertures nuancées comme des étoffes nouvelles. Au quartier Latin, des petits journaux éphémères alternent avec des refrains à images et les devantures savantes des librairies médicales. Mais les revues compactes, sérieuses, qui ont une visée, un but, choisissent des rues tranquilles, claustrales, où le mouvement du Paris qui passe ne dérange pas trop leurs pénibles élucubrations.
La Revue des Races futures, revue indépendante et humanitaire, était admirablement à sa place sur ce quai où flotte une poussière de vieux bouquins, « dans le voisinage de l’Institut, » comme disait Charlotte. La maison, elle aussi, avec ses vieux balcons noircis, son fronton vermiculé, son large escalier à rampe ouvragée, suffisamment moisie et triste, répondait bien à l’esprit de la Revue. Ce qui y répondait moins, par exemple, c’étaient la physionomie et la tenue des rédacteurs.
Depuis environ six mois que les Races futures étaient fondées, le concierge terrifié avait laissé franchir le seuil de son immeuble à tout ce que la basse littérature renferme de plus crasseux, de plus bizarre, de plus lamentable. « Il nous vient jusqu’à des nègres, jusqu’à des Chinois, » racontait à ses collègues du quai des Augustins le malheureux cerbère ; et je pense que par là il faisait allusion à Moronval, un des assidus de la Revue, toujours escorté de quelque petit « pays chaud. » Mais Moronval n’était pas le seul à hanter la maison vénérable devenue le rendez-vous des ratés de Paris et de la province, de tous ces tristes qui circulent dans la vie avec des manuscrits trop gros pour leurs redingotes étriquées.
Un raté fondant une revue, et une revue avec de l’argent, des actions, pensez quelle aubaine ! Il est vrai de dire que les actionnaires manquaient. Jusqu’à présent il ne s’en était trouvé que deux, d’Argenton, naturellement, et puis… notre ami Jack. Ne riez pas ! Jack était actionnaire de la Revue des Races futures. Il figurait pour dix mille francs sur les livres, les dix mille francs de « Bon ami. » Charlotte avait bien eu quelques scrupules à employer ainsi cette somme qu’elle devait remettre à l’enfant à sa majorité ; mais elle s’était rendue aux raisonnements de d’Argenton :
– Voyons !… Comprends donc un peu… C’est un placement magnifique… Les chiffres sont des chiffres. Regarde à quel taux sont arrivées les actions de la Revue des Deux-Mondes. Y a-t-il un placement comparable à celui-là ? Je ne dis pas que nous réaliserons tout de suite de pareils bénéfices. Mais n’en eût-on que le quart, cela vaut encore mieux que la rente ou les chemins de fer. Vois si j’ai hésité à déplacer mon argent pour le mettre dans cette affaire. »
Étant donné la lésinerie bien connue du poète, cet argument était sans réplique.
Depuis six mois, d’Argenton avait sacrifié plus de trente mille francs pour l’installation des bureaux, le loyer, la rédaction, sans parler des avances déjà faites sur des travaux à livrer. À l’heure qu’il est, il ne restait plus rien de la première mise de fonds ; et il allait être obligé, comme il disait, de faire un nouvel appel à ses actionnaires ; car il avait inventé ce prétexte des actionnaires pour se mettre à l’abri des emprunteurs.
Le fait est que jusque-là, en face de l’absence totale de recettes, les dépenses étaient très lourdes. Outre les bureaux de la Revue, le poète avait loué, au quatrième de la maison, un grand et bel appartement à balcon, ayant tout cet horizon merveilleux, la Cité, la Seine, Notre-Dame, des dômes, des flèches, et les voitures qui filent sur les ponts, et les bateaux qui passent sous les arches. Là, au moins, il se sentait respirer et vivre. Ce n’était plus comme dans le coin perdu des Aulnettes, où, l’été, un bourdon qui traversait le cabinet du poète tous les jours à trois heures, était attendu comme l’événement de la journée. Impossible de travailler dans une pareille léthargie ! Et dire qu’il avait eu le courage de s’enfermer là six ans ! Aussi, qu’était-il arrivé ? Il avait mis six ans à faire la Fille de Faust, tandis que, depuis son arrivée à Paris, grâce au milieu intellectuel, il avait commencé je ne sais combien d’études, d’articles de fonds, de nouvelles.
Charlotte, elle aussi, partageait l’activité fiévreuse de son artiste. Toujours jeune, toujours fraîche, elle surveillait le ménage et la cuisine, ce qui n’était pas une mince affaire avec l’énorme quantité de dîneurs réunis sans cesse autour de la table. Puis il l’associait à ses travaux.
Pour faciliter ses digestions, il avait pris l’habitude de dicter au lieu d’écrire, et comme Charlotte avait une belle écriture anglaise, c’est elle qui lui servait de secrétaire. Tous les soirs, quand ils dînaient seuls, il dictait pendant une heure en se promenant de long en large. Dans la vieille maison endormie, on entendait résonner ses pas, sa voix solennelle, et une autre voix douce, aimable, admirable, qui semblait donner les répons à ce pontife officiant.
– Voilà notre auteur qui compose, disait le concierge avec respect.
Le soir où nous retrouvons le ménage d’Argenton, il est ainsi installé dans un charmant petit salon parfumé de thé vert et de cigarettes espagnoles. Charlotte est en train de préparer sa table pour écrire, d’aligner un encrier perfectionné, un porte-plume en ivoire, de la poudre d’or, de beaux cahiers de papier blanc à grandes marges pour les corrections. Précaution bien inutile, le poète ne faisant jamais de corrections ; ça vient comme ça vient, d’un bloc, et l’on n’y retouche plus. Mais le cahier est plus joli avec des marges, et, quand il s’agit de son poète, Charlotte met toute sa coquetterie enjeu.
Justement, ce soir-là, d’Argenton est bien en veine, il se sent d’haleine à dicter toute la nuit et veut en profiter pour écrire une nouvelle sentimentale destinée à amorcer l’abonné à l’époque du renouvellement. Il tortille sa moustache éclaircie de quelques poils blancs et dresse son grand front encore agrandi parce qu’il se déplume. Il attend l’inspiration. Par un contraste assez fréquent en ménage, Charlotte n’est pas aussi bien disposée. On dirait qu’il y a un nuage sur ses yeux brillants. Elle est pâle, distraite, mais toujours docile, car malgré sa fatigue évidente, elle commence à tremper sa plume dans l’encrier, délicatement, le petit doigt en l’air, comme une chatte qui a peur de se salir les pattes.
– Voyons, Lolotte ! y es-tu ? Nous en sommes au chapitre premier… As-tu écrit chapitre premier ?
– Chapitre premier… dit Charlotte d’une voix triste.
Le poète la regarde, agacé ; puis commence, avec un parti pris évident de ne pas la questionner, de ne point s’informer de son chagrin :
– « Dans un vallon perdu des Pyrénées, de ces Pyrénées si fécondes en légendes… de ces Pyrénées si fécondes en légendes… »
Ce retour de phrase l’enchante. Il le répète plusieurs fois avec des modulations de vanité ; puis, enfin, se tournant vers Charlotte :
– Tu as mis « si fécondes en légendes ?… »
Elle essaya de répéter « si fé… si fécondes, » mais elle s’arrêta, la voix entrecoupée de sanglots.
Charlotte pleure. Elle a eu beau mordre sa plume, serrer ses lèvres pour se retenir. Cela déborde. Elle pleure, elle pleure…
– Allons, bon ! dit d’Argenton stupéfié… Comme ça tombe ! Un soir où j’étais si bien en train… Qu’est-ce qui te prend, voyons ? C’est cette nouvelle du Cydnus ? Mais, quoi ? C’est un bruit en l’air. Tu sais bien comment sont les journaux. Tout leur est bon pour remplir leurs colonnes… Cela se voit tous les jours, qu’on soit sans nouvelles d’un navire. D’ailleurs, Hirsch a dû passer à la compagnie aujourd’hui. Il va venir tout à l’heure. Tu sauras ce qu’il en est. Il sera toujours temps de se faire du chagrin.
Il lui parle d’une voix dédaigneuse et sèchement condescendante, comme on parle aux faibles, aux enfants, aux fous, aux malades ; n’est-ce pas un peu tout cela ? Puis, quand il l’a calmée :
– Où en étions-nous ? Ça m’a fait perdre le fil. Relis-moi tout ce que j’ai dicté… Tout !
Charlotte refoule ses larmes et reprend pour la dixième fois :
– « Dans un vallon perdu des Pyrénées, de ces Pyrénées si fécondes en légendes… »
– Ensuite ?
Elle a beau tourner et retourner la page, secouer le cahier neuf :
– C’est tout…, dit-elle à la fin.
D’Argenton est très surpris ; il lui semble qu’il y en avait bien plus long. C’est toujours ce qui lui arrive quand il dicte. La terrible avance que la pensée a sur l’expression l’égare. Tout ce qu’il rêve, tout ce qui est dans son cerveau à l’état d’embryon, il le croit déjà formulé, réalisé ; et quand il s’est contenté de faire de grands gestes, de bredouiller quelques mots, il reste atterré devant le peu qu’il a produit, devant la disproportion du rêve avec la réalité. Désillusion de don Quichotte se croyant dans l’Empyrée, prenant pour le vent d’en haut l’haleine des marmitons et les soufflets de cuisine qu’on agite autour de lui, et ressentant sur le cheval de bois où il est assis toute la secousse d’une chute imaginaire ! D’Argenton, lui aussi, se croyait parti, enlevé, envolé… Eh quoi ! tant de frissons, de fièvre, d’exaltation, de poses, d’attitudes, de pas contrariés, tant de fois la main passée dans les cheveux, pour arriver à ces deux lignes : « Dans un vallon perdu des Pyrénées, de ces Pyrénées, etc.… » Et c’est toujours ainsi.
Il est furieux, il se sent ridicule :
– Aussi, c’est ta faute, dit-il à Charlotte… Avec cela qu’il est facile de travailler en face de quelqu’un qui pleure tout le temps. Ah ! tiens ! c’est horrible… Tout un monde de pensées, de conceptions… Et puis rien, rien, jamais rien… Et le temps passe, et les années filent, et les places se prennent… Tu ne sais donc pas, malheureuse femme, comme il faut peu de chose pour déranger l’inspiration ?… Oh ! toujours se heurter le front à quelque réalité stupide !… Moi qui, pour composer, aurais besoin de vivre dans une tour de cristal, à mille pieds au-dessus des futilités de la vie, je me suis donné pour compagnons le caprice, le désordre, l’enfantillage et le bruit…
Il tape du pied, assène un coup de poing sur la table, tandis que Charlotte, qui n’a pas assez pleuré pour le trop plein de son cœur, ramasse en versant des larmes les plumes, l’essuie-plume, le porte-plume, tout son attirail de secrétaire dispersé sur le tapis du salon.
L’arrivée du docteur Hirsch met fin à cette scène regrettable, mais si fréquente que tous les atomes de la maison y sont habitués et que, sitôt la tourmente passée, la colère tombée, ils reprennent vite leur place et rendent aux objets leur apparence d’harmonie et de tranquillité habituelles. Le docteur n’est pas seul. Il est accompagné de Labassindre, et tous deux font une entrée mystérieuse, grave, extraordinaire. Le chanteur surtout, accoutumé aux effets de scène, a une façon de fermer hermétiquement les lèvres en relevant la tête, qui signifie visiblement : « Je sais quelque chose de la plus grande importance, mais rien ne pourra me décider à vous l’apprendre. »
D’Argenton, encore tout tremblant de fureur, ne comprend pas ce que veulent dire ces poignées de mains vibrantes, significatives, que ses amis lui prodiguent à la muette. Un mot de Charlotte le met au fait :
– Eh bien ! monsieur Hirsch ? dit-elle en s’élançant vers le docteur fantaisiste.
– Toujours la même réponse, madame. On n’a pas de nouvelles.
Mais pendant qu’il dit « pas de nouvelles » à Charlotte, il fait au contraire, avec ses yeux démesurément ouverts sous ses lunettes bombées, comprendre à d’Argenton que c’est un affreux mensonge, qu’il y a des nouvelles, des nouvelles terribles.
– Et que pensent ces messieurs à la Compagnie ?… Qu’est-ce qu’ils disent ?… demanda la mère avec le désir et la peur de savoir, essayant de déchiffrer la vérité sur ces figures à grimaces.
– Mon Dieu ! madame… beûh ! beûh !
Tandis que Labassindre s’entortille dans une suite de phrases, longues, molles, vaguement rassurantes, mais au fond dubitatives, Hirsch, à force de remuer la bouche d’après la méthode Decostère a fini par donner au poète la configuration de ces quelques mots : « Cydnus perdu corps et biens… Collision en pleine mer… Parages du cap Vert… Épouvantable ! »
La grosse moustache de d’Argenton a tressailli, mais c’est tout. En regardant cette face blême, étalée et correcte, dont pas un pli n’a bougé, il serait bien difficile de définir ses impressions, de savoir si le triomphe y domine ou le remords tardif devant ce dénoûment lugubre. Peut-être ces deux sentiments se contrarient-ils sur le visage impassible qui n’en laisse voir franchement aucun.
Le poète éprouve seulement le besoin d’aller évaporer au dehors l’agitation que lui cause cette grande nouvelle.
– J’ai beaucoup travaillé, dit-il très sérieusement à ses amis… Je veux prendre l’air… Allons faire un tour.
– Tu as raison, dit Charlotte… Sors un peu, cela te fera du bien.
Charlotte qui, d’habitude, retient son « artiste » sans cesse à la maison, parce qu’elle croit toutes les dames du faubourg Saint-Germain informées de son retour et prêtes à s’inscrire à la file pour « boire tout le sang de son cœur, » ce soir-là exceptionnellement, est ravie de le voir partir, de rester seule avec sa pensée. Elle pourra donc pleurer en paix sans que personne essaye de la consoler, se livrer tout entière à ces terreurs, à ces pressentiments qu’elle n’ose pas avouer de peur d’être brutalement rassurée. Voilà pourquoi la servante même la gêne, pourquoi au lieu de bavarder longuement avec elle comme à chaque fois que monsieur sort, elle la renvoie dans sa mansarde.
– Madame veut rester seule ?… Madame n’a pas peur ?… C’est si triste ce vent qui souffle sur ce balcon.
– Non, laissez-moi…, je n’ai pas peur.
Enfin la voilà seule, elle peut se taire, réfléchir à son aise, sans que la voix du tyran lui dise : « À quoi penses-tu ?… » Elle pense à son Jack, parbleu ! Et à quoi penserait-elle ? Depuis qu’elle a lu dans le journal cette ligne sinistre : On est sans nouvelles du Cydnus, l’image de son enfant la poursuit, l’affole, ne la quitte plus. Le jour encore, l’égoïsme accapareur du poète lui ôte jusqu’à son tourment ; mais, la nuit, elle ne dort pas. Elle écoute le vent qui souffle et lui cause une terreur singulière. À cet angle du quai où ils habitent, il arrive toujours de quelque point différent, irrité ou plaintif, secouant les vieilles boiseries, effleurant les vitres sonores, rabattant une persienne détachée. Mais qu’il chuchote ou qu’il crie, il lui parle. Il lui dit ce qu’il dit aux mères et aux femmes de marins, des paroles qui la font pâlir.
C’est qu’il vient de loin, ce vent de tempête, et il vient vite, et il en a vu, des aventures ! Sur ces grandes ailes d’oiseau fou qu’il heurte partout où il passe, toutes les rumeurs, tous les cris s’enlèvent et se transportent avec une égale rapidité. Tour à tour farceur ou terrible, dans la même minute il a déchiré la voile d’un bateau, éteint une bougie, soulevé une mantille, préparé les orages, activé l’incendie ; c’est tout cela qu’il raconte et qui donne à sa voix tant d’intonations différentes, joyeuses ou lamentables.
Cette nuit, il est sinistre à entendre. Il passe en courant sur le balcon, ébranle les croisées, siffle sous les portes. Il veut entrer. Il a quelque chose de pressé à dire à cette mère ; et tous les bruits qu’il apporte, qu’il jette contre la vitre en secouant ses ailes mouillées, résonnent comme un appel ou un avertissement. La voix des horloges, un sifflet lointain de chemin de fer, tout prend le même accent, plaintif, réitéré, obsessionnant. Ce que le vent veut lui dire, elle s’en doute bien. Il aura vu en pleine mer, car il est partout à la fois, un grand navire se débattre au milieu des flots, heurter ses flancs, perdre ses mâts, rouler dans l’abîme avec des bras tendus, des visages effarés et blêmes, des chevelures plaquées sur des regards fous, et des cris, des sanglots, des adieux, des malédictions jetées au seuil de la mort. Son hallucination est si forte qu’elle croit entendre parmi les rumeurs qui lui viennent du lointain naufrage une plainte vague à peine articulée :
– Maman !
C’est sans doute une illusion, une erreur de sa pensée inquiète.
– Maman !
Cette fois, la plainte est un peu plus forte… Mais non, c’est impossible. Les oreilles lui tintent, bien sûr… Ô Dieu, est-ce qu’elle va devenir folle ?… Pour échapper à cette surprise de ses sens, Charlotte se lève, marche dans le salon… Pour le coup, quelqu’un a appelé. Cela vient de l’escalier. Elle court ouvrir la porte.
Le gaz est éteint, et la lampe qu’elle tient à la main dessine en ombre sur les marches les arabesques de la rampe… Rien, personne… Pourtant elle est sûre d’avoir entendu. Il faut voir encore. Elle se penche, en levant bien haut sa lumière. Alors, quelque chose de doux et d’étouffé, qui tient à la fois du rire et du sanglot, retentit dans l’escalier où une grande ombre monte, se traîne en s’appuyant au mur.
– Qui est là ?… crie-t-elle toute tremblante, animée d’un espoir fou, et qui l’empêche d’avoir peur.
– C’est moi, maman…, Oh ! je te vois bien… répond une voix enrouée et bien faible.
Elle descend vite quelques marches. C’est lui, c’est son Jack, ce grand ouvrier blessé qui s’appuie sur deux béquilles, si défaillant, si ému à l’idée de revoir sa mère qu’il a dû s’arrêter au milieu de l’escalier avec un appel de détresse. Voilà ce qu’elle a fait de son enfant.
Pas un mot, pas un cri, pas même une caresse ! Ils sont là tous deux en face l’un de l’autre ; et ils pleurent en se regardant.
Il y a des fatalités de ridicule qui s’attachent à certains êtres, rendent inutiles ou fausses toutes leurs manifestations. Il était dit que d’Argenton, roi des Ratés, raterait tous ses effets. Quand il rentra, ce soir-là, il avait résolu, après en avoir longuement conféré avec ses amis, d’annoncer la fatale nouvelle à Charlotte pour en finir tout de suite, et de soutenir ce premier assaut à l’aide de quelques phrases solennelles indiquées par la circonstance. Rien que la façon dont il tourna la clef dans la serrure annonçait la gravité de ce qu’il allait dire. Mais quelle ne fut pas sa surprise de trouver, à cette heure indue, le salon encore allumé, Charlotte debout, et, près du feu, les restes d’un de ces repas dévorés à la hâte comme les départs et les arrivées en improvisent devant leurs émotions.
Elle vint à lui, tout agitée :
– Chut ! ne fais pas de bruit… Il est là… Il dort. Oh ! que je suis heureuse !
– Qui ? quoi ?
– Mais Jack. Il a fait naufrage. Il est blessé. Son navire perdu. On l’a sauvé, lui, par miracle. Il arrive de Rio-Janeiro, où il a passé deux mois à l’hôpital.
D’Argenton eut un sourire vague qui pouvait, à la rigueur, passer pour une preuve de satisfaction. Il faut lui rendre cette justice qu’il prit la chose très paternellement et fut le premier à déclarer qu’on garderait Jack à la maison jusqu’à ce qu’il fût complètement rétabli. En conscience, il ne pouvait moins faire pour son principal, son unique actionnaire. Dix mille francs d’actions méritaient bien quelques égards.
La première émotion passée, les premiers jours écoulés, la vie habituelle du poète et de Charlotte reprit son cours, augmentée seulement de la présence de ce pauvre éclopé dont les deux jambes brûlées par l’explosion d’une chaudière avaient beaucoup de peine à se cicatriser. Vêtu de sa vareuse en laine bleue, la figure encore noire de son ancien métier, les traits grossis, déformés sous une couche de hâle où la petite moustache blonde ressortait avec une couleur d’épi brûlé, les yeux rouges et sans cils, le teint enflammé, les joues creuses, désœuvré, découragé, enveloppé de cette torpeur qui suit les grandes catastrophes, le filleul de lord Peambock, le Jack (par un K) d’Ida de Barancy se traînait de chaise en chaise pour, la plus grande irritation de d’Argenton et la plus grande honte de sa mère.
Quand celle-ci voyait entrer quelque inconnu dans la maison, quand elle saisissait un regard étonné, curieux, arrêté sur l’ouvrier sans ouvrage dont la tenue, la parole, contrastaient étrangement avec le luxe tranquille de cet intérieur, elle s’empressait de dire : « C’est mon fils… Je vous présente mon fils… Il a été bien malade, » comme ces mères d’enfants infirmes, qui se hâtent d’affirmer leur maternité de peur de surprendre un sourire ou une compassion trop marquée. Mais si elle souffrait de voir son Jack dans cet état, si elle rougissait de ses manières vulgarisées, presque grossières, de certaines façons qu’il avait de se tenir à table, où l’on sentait des habitudes de cabaret, des gloutonneries de mercenaire, elle souffrait encore plus du ton de mépris que les habitués de la maison affectaient en parlant de son enfant.
Jack avait retrouvé là toutes ses anciennes connaissances du gymnase, tous les ratés de « Parva domus, » avec quelques années de plus, des cheveux et des dents de moins, mais immobiles dans leurs situations sociales et piétinant sur place, comme de braves ratés qu’ils étaient. Tous les jours, on se réunissait dans les bureaux de la Revue pour discuter le numéro, et deux fois par semaine, il y avait un grand dîner au quatrième. D’Argenton, qui ne pouvait plus se passer d’avoir beaucoup de monde autour de lui, se déguisait cette faiblesse à ses propres yeux avec l’étonnante phraséologie dont il avait le secret :
– Il faut faire un groupe… Il faut se serrer, se sentir les coudes.
Et l’on se serrait, dam ! On se serrait autour de lui à le presser, à l’étouffer. Dans tout le groupe, celui dont il sentait le mieux les coudes, des coudes pointus, osseux, insinuants, c’était Évariste Moronval, secrétaire de la rédaction à la Revue des races futures. Moronval avait eu le premier l’idée de la Revue, qui lui devait son titre palingénésique et humanitaire. Il corrigeait les épreuves, surveillait la mise en pages, lisait les articles, les romans, et enfin relevait, par des paroles enflammées, le courage chancelant du directeur devant le mauvais vouloir des abonnés et les frais incessants du magazine.
Pour ces services multipliés, le mulâtre avait un traitement fixe assez mince, mais qu’il arrondissait par toutes sortes de travaux supplémentaires payés à part, et des emprunts continuels. Depuis longtemps, le gymnase de l’avenue Montaigne avait fait faillite ; mais son directeur n’avait pas renoncé entièrement à l’élève des petits « pays chauds, » et venait toujours à la Revue flanqué des deux derniers produits qui lui fussent restés de cette étrange culture. L’un était un petit prince japonais, jeune homme d’un âge indéfini, entre quinze ans et cinquante, et qui, n’ayant plus sa robe longue de mikado, paraissait tout petit, tout fluet, avec une toute petite canne, un tout petit chapeau, l’aspect d’une figurine de terre jaune tombée d’une étagère sur le trottoir parisien.
L’autre, un grand garçon dont on ne voyait que les yeux étroits et le front, tout le reste disparaissant dans une bouffissure tendue, sous une barbe noire et frisante comme du palissandre en copeaux, rappelait de vagues souvenirs à Jack, qui reconnut son vieil ami Saïd à certains bouts de cigares que l’Égyptien ne manqua pas de lui offrir dans une de leurs premières entrevues. L’éducation de cet infortuné jeune homme était finie depuis longtemps ; mais ses parents le laissaient à Moronval pour l’initier aux usages et coutumes du grand monde. À part lui, tous les habitués de la Revue et des dîners bi-hebdomadaires, le mulâtre, Hirsch, Labassindre, le neveu de Berzelius et les autres prenaient, pour parler à Jack, le même ton protecteur, condescendant et familier. On eût dit quelque pauvre diable admis par faveur à la table d’un riche patron.
Il n’était resté « monsieur Jack » que pour une seule personne, la douce et excellente madame Moronval-Decostère, toujours semblable à elle-même, avec son grand front solennel et luisant et sa petite robe noire, moins solennelle, mais encore plus luisante. D’ailleurs, qu’on l’appelât « monsieur Jack, » ou « ma vieille, » ou « mon brave, » ou « mon garçon ; » qu’on fut méprisant, indifférent ou bienveillant pour lui, tout était parfaitement égal à ce déclassé qui se tenait à l’écart, un bout de pipe aux dents, endormi, hébété, écoutant sans les entendre ces criailleries littéraires dont son jeune âge avait été bercé. Ses deux mois d’hôpital, ses trois ans d’alcool et de chambre de chauffe, et le bouleversement de la fin lui avaient causé un ahurissement, une fatigue, le besoin de ne plus parler, de ne plus bouger, de laisser fuir et s’éteindre dans la tranquillité du silence les colères de la mer mêlées au grondement des machines qui bourdonnaient encore au fond de son cerveau comme le bruit de la lame au fond d’un coquillage.
– « Il est abruti… » disait quelquefois d’Argenton. Non, mais somnolent, muet, sans volonté, tout au bien-être de l’immobilité du sol et du calme de l’air. Il ne retrouvait un peu de vie que seul avec sa mère, dans les rares après-midi où le poète s’absentait. Alors il se rapprochait d’elle, se ranimait à ses bavardages d’oiseau, à ses petits mots de tendresse. Seulement, il aimait mieux l’écouter que de parler lui-même. Sa voix lui faisait aux oreilles un murmure délicieux, comme celui des premières abeilles, l’été, dans la saison du miel.
Un jour qu’ils étaient ainsi tous les deux, il se réveilla tout d’un coup d’une longue torpeur, dit à Charlotte lentement, bien lentement :
– Quand j’étais enfant, j’ai dû faire un long voyage, n’est-ce pas ?
Elle le regarda, un peu troublée. C’était la première fois de sa vie qu’il s’informait du passé.
– Pourquoi ?… demanda-t-elle.
– C’est que le premier jour où j’ai mis le pied sur un paquebot, il y a trois ans, j’ai eu une singulière sensation… Il me semblait que tout ce que je voyais, je l’avais déjà vu… Le jour venant à travers les hublots, ces petites marches doublées en cuivre qui descendent aux cabines, tout cela m’impressionnait comme un souvenir… Il me semblait que, tout petit, j’avais joué, glissé sur cet escalier… On a de ces choses-là dans les rêves.
Elle regarda plusieurs fois autour d’elle pour bien s’assurer qu’ils étaient seuls.
– Ce n’est pas un rêve que tu as fait, mon Jack. Tu avais trois ans quand nous sommes revenus d’Algérie. Ton père était mort subitement, et nous retournions en Touraine.
– Ah ! mon père est mort en Algérie ?
– Oui… répondit-elle tout bas en baissant la tête.
– Comment s’appelait-il donc, mon père ?
Elle hésita, très émue ; elle n’était pas préparée à cette curiosité subite… Et pourtant, si gênante que fût cette conversation, elle ne pouvait pas refuser de faire connaître son père à un grand garçon de vingt ans, en âge de tout entendre et de tout comprendre.
– Il s’appelait d’un des plus grands noms de France, mon enfant, d’un nom que toi et moi nous porterions aujourd’hui, si une catastrophe subite, épouvantable, n’était venue l’empêcher de réparer sa faute… Ah ! nous étions bien jeunes quand nous nous sommes rencontrés… C’était, je m’en souviens, à une grande battue de sangliers dans les ravins de la Chiffa. Il faut te dire que j’avais à cette époque la passion de la chasse. Je me rappelle même que je montais un petit cheval arabe appelé Soliman, un vrai petit diable…
Elle était partie, la folle, partie à bride abattue sur son cheval arabe appelé Soliman, à travers ce pays des chimères qu’elle peuplait de tous les lords Peambock, de tous les rajahs de Singapore de son imagination éblouissante.
Jack n’essaya pas de l’interrompre ; il savait trop bien que c’était inutile. Mais quand elle s’arrêta pour prendre haleine, suffoquée par le vent, la rapidité de sa course, il profita de cette courte halte pour revenir à sa première question et fixer, par un mot bien positif, cet esprit si prompt aux écarts :
– Quel est le nom de mon père ? répéta-t-il.
Oh ! le regard étonné de ses yeux clairs… Elle avait complètement oublié de quoi ils parlaient.
Très vite, le souffle encore haletant du long récit de tout à l’heure, elle répondit :
– Il s’appelait le marquis de l’Épan, chef d’escadron au 3e hussards.
Il faut croire que Jack n’avait pas sur la noblesse, sur ses droits et ses prérogatives, les mêmes illusions que sa mère, car il accueillit avec la plus grande tranquillité le secret de son illustre naissance. Après tout, que son père eût été marquis, cela ne l’empêchait pas d’être chauffeur, lui, et un mauvais chauffeur, aussi crevé, aussi démoli, aussi hors de service que la chaudière du Cydnus en ce moment au fond de l’océan Atlantique avec six cents brasses de mer au-dessus d’elle. Que son père eût porté un nom retentissant, cela ne l’empêchait pas de s’appeler Jack, lui, et d’être une de ces tristes épaves que la vie roule et déplace dans son flot toujours changeant. D’ailleurs, ce père dont on lui parlait était mort, et ce réveil d’un sentiment inconnu qui avait agité Jack une minute, ne trouvant rien à quoi se prendre, une fois sa curiosité satisfaite, s’anéantit comme tout le reste dans la torpeur de ses facultés.
– Ah çà, voyons ! Charlotte… Il faut prendre un parti avec ce garçon. Il ne peut pas rester là éternellement sans rien faire. Ses jambes vont bien. Il mange comme un bœuf, sans reproche. Il tousse encore un peu ; mais Hirsch prétend qu’il toussera toujours… Il devrait pourtant se décider à quelque chose. Si les paquebots sont trop durs, qu’il entre dans les chemins de fer ! Labassindre dit qu’on y gagne de très belles journées.
À ces représentations du poète, Charlotte objectait que Jack était encore bien faible, bien languissant :
– Si tu voyais comme il souffle quand il monte les quatre étages, comme il est maigre. Je l’entends s’agiter, la nuit. Tiens ! tu ne sais pas, en attendant qu’il se fortifie, tu devrais l’occuper un peu à la Revue.
– Je veux bien essayer répondit l’autre. J’en parlerai à Moronval.
Moronval voulut bien essayer aussi, mais ce fut un essai malheureux. Pendant quelques jours, Jack remplit à la Revue les fonctions de garçon de bureau. Porter les épreuves à l’imprimerie, plier les numéros, coller les bandes ; on lui fit tout faire, excepté le balayage des deux pièces que, par un reste de pudeur, on laissa au concierge dont c’était la prérogative. Avec son impassibilité ordinaire, Jack remplit ces diverses fonctions, supportant les allusions méprisantes de Moronval qui avait un tas de rancunes à satisfaire, et les colères froides de d’Argenton dont l’humeur s’aigrissait devant la constante résistance des abonnés. Ils s’entêtaient vraiment, ces abonnés. Sur le magnifique livre à souches, couvert de serge verte, orné de coins de cuivre, où devaient figurer leurs noms, on n’en apercevait qu’un, égaré dans la première page comme une coquille de noix sur l’immense mer déserte : « M. le comte de…, au château de…, à Mettray, près Tours. » C’est à Charlotte qu’on le devait, celui-là.
Mais cette absence de recettes n’empêchait pas les frais de continuer, ni les rédacteurs de se présenter tous les cinq du mois pour toucher le prix de leur copie augmenté de quelques avances. Moronval surtout était insatiable. Après être venu lui-même, il envoyait sa femme, Saïd, le prince japonais. D’Argenton était furieux, mais il n’osait refuser. Sa vanité était si gourmande, et le mulâtre avait tant de sucreries et de douceurs dans ses poches. Toutefois, quand la rédaction était ruinée, de peur qu’on ne s’avisât de suivre l’exemple de Moronval, le directeur ne manquait pas de se lamenter, d’opposer à tous les emprunts la même barrière infranchissable : « Mon comité d’actionnaires me le défend absolument. – Il était là dans un coin, le comité d’actionnaires, comité sans le savoir, composé d’un seul membre, occupé à fixer des bandes avec un pinceau et un grand pot de colle. De même qu’il n’y avait à la Revue qu’un abonné, « Bon ami, » il n’y avait qu’un actionnaire, Jack, avec l’argent de « Bon ami. »
Ni Jack ni personne ne s’en doutait : mais d’Argenton le savait, lui, et c’était une gêne, une honte vis-à-vis de lui-même, vis-à-vis surtout de l’enfant de cette femme, qu’il se prenait à haïr comme autrefois.
Au bout de huit jours, le garçon de bureau fut déclaré incapable.
– Il ne nous sert à rien ; bien loin d’aider, c’est plutôt un dérangement pour tout le monde.
– Mais, mon ami, je t’assure qu’il fait tout ce qu’il peut.
Elle se sentait plus courageuse à le défendre, depuis la grande terreur qu’elle avait eue.
– Enfin, qu’est-ce que tu veux ? Je te dis qu’il me gêne. Comment t’expliquer cela ? Il n’est pas dans son milieu avec nous. Il ne sait ni parler ni s’asseoir. Tu ne vois pas comme il se tient à dîner, les jambes écartées, toujours à une lieue de la table, comme il s’endort dans son assiette… Et puis ce grand garçon constamment à tes côtés, ça te vieillit, ma chère… En outre, il a des habitudes déplorables. Il boit, je te dis qu’il boit. Il nous apporte ici des odeurs de cabaret. C’est l’ouvrier, quoi !
Elle baissa la tête et pleura. Elle s’en était aperçue qu’il buvait, mais à qui la faute ? Ne l’avaient-ils pas eux-mêmes jeté au gouffre ?
– Voyons, Charlotte, j’ai une idée. Puisqu’il est encore trop faible pour se remettre au travail, envoyons-le se rétablir à Étiolles. Il passera quelque temps à la campagne, au bon air, et nous aidera peut-être à sous-louer « parva domus » qui nous est restée sur le dos avec un bail de dix ans. Nous lui enverrons un peu d’argent, tout ce qu’il faut… Cela lui fera du bien.
Elle lui sauta au cou avec un élan de reconnaissance :
– Oh ! tiens !… C’est encore toi le meilleur de tous.
Et, sur-le-champ, il fut convenu qu’elle irait le lendemain installer son fils aux Aulnettes.
Ils arrivèrent par un de ces beaux matins d’automne, doux et dorés, qui semblent un été apaisé, allégé de sa chaleur brûlante et lourde. Pas un souffle dans l’air, mais des chants d’oiseaux en quantité, des crépitements dans les feuilles tombées, et un parfum de maturité, de foins secs, de bruyères brûlées, de fruits bons à cueillir. Les sentiers du bois à peine éclaircis, semés de fleurs jaunes, sentant le soleil moins puissant, donnaient aussi moins d’ombre, et silencieux, veloutés, s’en allaient vers les clairières. Jack les reconnaissait tous, ces chemins. En y posant le pied, il reprenait possession de quelques années de son enfance, heureuses, inoubliables, où malgré les tristesses de sa fausse position il avait senti son être s’épanouir dans la bonne, dans la libre Nature. Elle aussi semblait le reconnaître, l’appeler, l’accueillir. Dans son âme attendrie de tous ses souvenirs et de toute sa faiblesse, Jack entendait une voix réconfortante et douce : « Viens à moi, pauvre enfant, viens sur mon cœur aux battements lents et calmes. Je t’enlacerai, je te soignerai. J’ai du baume pour toutes les blessures, et celui qui les cherche est déjà guéri… »
Charlotte quitta son fils de bonne heure ; et la petite maison, toutes ses fenêtres ouvertes à l’air tiède, aux bourdonnements du jardin légèrement inculte qui mêlait ses fleurs et ses fruits dans le renouveau de l’arrière-saison, la petite maison que Jack parcourait de pièce en pièce en se baissant un peu pour rechercher dans tous les coins les miettes de son enfance disparue, s’accorda pour la première fois et sans aucune ironie avec l’inscription de son frontispice :
Petite maison, grand repos.
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE